Pour Frantz Fanon « La tendance d’aujourd’hui est d’abandonner la négritude comme un vêtement usé qui a trop servi. Certains s’interrogent davantage sur l’avenir économique, sanitaire même des populations africaines. » Ce jugement vous semble-t-il fondé ?
Quel constat précis peut-on faire aujourd’hui du concept de la négritude ?
Traité :
D’une manière générale, après plus d’un demi-siècle de domination coloniale, les indépendances tombèrent sur l’Afrique comme une nuée de sauterelles. Ces indépendances ont engendrées de mutations profondes au sein des sociétés africaines.
La littérature elle-même, à travers la négritude n’en sera pas épargnée. Ainsi, le débat sur la négritude traduit une volonté de changement et à ce propos, Frantz Fanon affirme : « La tendance d’aujourd’hui est d’abandonner la négritude comme un vêtement usé qui a trop servi. Certains s’interrogent davantage sur l’avenir économique, sanitaire même des sociétés africaines. » La négritude est-elle dépassée ? Quels sont les avantages de
ce mouvement ? Peut-elle (négritude) résoudre les problèmes de l’Afrique indépendante ? Au cours de ce traité, nous nous pencherons sur les mérites de la négritude de 1934 à 1960 et, nous les comparerons aux réalités de l’Afrique de nos jours.
La négritude fut l’élément fécond de la littérature africaine d’expression française. Depuis 1960, les écrivains de l’Afrique francophone joignent leurs voix à celles de leurs confrères anglophones. Rare sont parmi eux qui se recommandent de la négritude. Nous pouvons affirmer que cette école plus occupée à défendre ses positions a cessé de jouer un rôle moteur dans la littérature africaine.
Cependant, les tournures des événements poussent certains écrivains à prophétiser l’échec des indépendances du fait de l’abandon de la tradition et d’autre, de penser sur les vertus du peuple pour bâtir l’avenir. Ainsi, l’avenir pourrait défendre les expériences du passé qui n’ont pour soubassement que la culture africaine. Cette culture qui sera défendue et illustrer par les prophètes de la négritude dès le début de notre littérature en
France. L’engagement était total et aboutira à la réhabilitation de la personnalité culturelle africaine comme à la libération de l’Afrique. Jusqu’aux années ‘’60‘’, les écrivains étaient tous unanime autour de cette théorie. Seuls les anglophones s’y opposaient comme le suggère la boutade de Wolé Soyinka : « Le tigre ne se contente de
clamer sa tigritude, mais agit en tigre ».
De nos jours, dans la course francophone, la contestation s’amplifie. Certains écrivains de la nouvelle génération trouvent en la négritude une certaine forme de passéisme qui ressemblerait fort à une fuite en avant. Pour eux, l’exaltation de la race noire n’est plus nécessaire mais plutôt le combat contre l’impérialisme et le néocolonialisme. C’est pourquoi Frantz Fanon et Sembene Ousmane soutiennent que : « La négritude a une caractéristique historique de témoignage, les conditions socio-historiques qui ont favorisées sa naissance n’existant plus, nous devons nous en méfier ». Dans le même ordre d’idée, Gérald Félix Tchicaya U’tamsi prône : « La négritude est une affaire de génération » qu’il estime dépassée en raison de sa coloration raciste. Pour Stanislas Adotevi, la négritude est une « mascarade ». Pour notre part, reconnaissons que dans l’histoire du peuple africain, chaque génération doit apporter quelque chose à son temps. La génération des Senghor, Césaire, Damas mérite leur temps et, leur négritude demeurait comme l’a dit J.P.Sartre, un moment de la conscience humaine. La réorienter vers le développement économique et sanitaire serait un effort louable de la part de l’élite nouvelle car, comme l’a dit Senghor en 1971 à Dakar lors du colloque sur la négritude : « Mais dépassé n’est pas renier, d’autant que dépassé n’est pas supériorité mais différence dans la qualité nouvelle,
manière de voir, de vivre et de dire selon de nouvelles circonstances ». Le constat aujourd’hui est que la négritude a connue un dépassement car de la forme poétique, l’écrivain est venu à celle romanesque et dramatique. Mais toujours est-il que le mérite revient à la négritude, car c’est bien elle qui a selon Césaire, restituée l’homme noir de sa stature humaine, dans sa dimension humaine. Elle a rétablie les possibilités
de dialogue entre l’homme blanc et l’homme noir.
En conclusion, il faut retenir que la négritude a été une démarche explicite de l’intelligentsia noire qui l’a utilisé pour conjurer le colonialisme et exalter les valeurs negro africaines. Elle a donc besoin aujourd’hui d’une réorientation en tenant compte des réalités contemporaines pour une Afrique où règnent la justice, le progrès et l’espoir.
Mais, est-ce la négritude mérite un tel jugement de la part de ces intellectuels ?