L’homme, dans la mesure où il est conscient, c’est-à-dire capable de se prendre lui-même pour objet de pensée, n’est plus simplement dans le monde comme une chose ou un simple être vivant, mais il est au contraire devant le monde : la conscience, c’est la distance qui existe entre moi et moi- même et entre moi et le monde.
1. La conscience fait-elle la grandeur ou la misère de l’homme ?
Pascal répond qu’elle fait à la fois l’une et l’autre. Parce qu’elle rend l’homme responsable de ses actes, la conscience définit l’essence de l’homme et fait sa dignité. J’ai conscience de ce que je fais et peux en répondre devant le tribunal de ma conscience et celui des hommes : seul l’homme a accès à la dimension de la spiritualité et de la moralité.
Pourtant, parce que la conscience l’arrache à l’innocence du monde naturel, l’homme connaît aussi par elle sa misère, sa disproportion à l’égard de l’univers et, surtout, le fait qu’il aura à mourir.
Cependant, avoir conscience de soi, ce n’est pas lire en soi comme dans un livre ouvert : savoir que j’existe, ce n’est pas encore connaître qui je suis. Davantage même : c’est parce que je suis un être de conscience que je peux me tromper sur mon propre compte, m’illusionner et me méconnaître – un animal dénué de conscience ne saurait se mentir à soi-même.
2. La conscience que j’ai d’exister peut-elle être remise en doute ?
Certes, je peux me tromper dans la connaissance que je crois avoir de moi : celui qui croyait être courageux peut s’avérer n’être qu’un lâche, etc. ; mais la pure conscience d’être, elle, est nécessairement vraie.
Ainsi, Descartes, au terme de la démarche du doute méthodique, découvre le caractère absolument certain de l’existence du sujet pensant : « je pense, donc je suis ». Quand bien même tout ce en quoi je crois n’aurait pas plus de vérité que le contenu de mes songes, une certitude demeure, celle que j’existe, et aucun doute, aussi exagéré soit-il, ne peut la remettre en cause.
Descartes fait ainsi du phénomène de la conscience de soi le fondement inébranlable de la vérité, sur lequel toute connaissance doit prendre modèle pour s’édifier.
3. Comment concevoir la conscience ?
Que je sois certain que j’existe ne me dit pas encore qui je suis. Descartes répond que je suis « une substance
pensante »absolument distincte du corps. Pourtant, en faisant ainsi de la conscience une « chose » existant indépendamment du corps et repliée sur elle-même, Descartes ne manque-t-il pas la nature même de la conscience, comme ouverture sur le monde et sur soi ?
C’est ce que Husserl essaie de montrer : loin d’être une chose ou une substance, la conscience est une activité de projection vers les choses. Elle est toujours au-delà d’elle-même, qu’elle se projette vers le monde, ses souvenirs ou l’avenir, à chaque fois dans une relation ou visée que Husserl nomme « intentionnelle ».
4. Qu’est-ce que l’intentionnalité de la conscience ? • Que la conscience ne soit pas une substance, mais une relation, cela signifie que c’est par l’activité de la conscience que le monde m’est présent. Husserl tente tout au long de son œuvre de dégager les structures fondamentales de cette relation, à commencer par la perception. Il montre ainsi que celle-ci est toujours prise dans un réseau de significations : je ne peux percevoir que ce qui pour moi a un sens.
Quand on l’a retrouvé, Victor, l’enfant sauvage qui avait grandi élevé par les loups, ne sursautait pas lorsqu’on tirait derrière lui un coup de feu, mais se retournait lorsqu’on décortiquait des noix : le coup de feu n’était tout simplement pas perçu, parce qu’il ne signifiait rien.
5. Quel rôle la conscience joue-t-elle dans la perception ?
Lorsque je perçois quelque chose, je le vise en fait sous la forme d’un « comme » : je me rapporte à la cruche comme à ce qui sert à boire, etc. C’est en ce sens qu’il n’y a pas de perception sans signification.
Surtout, la conscience constitue la perception : par exemple, je ne verrai jamais d’un seul regard les six faces d’un cube. Il faut donc que ma conscience fasse la synthèse des différents moments perceptifs (le cube de devant, de côté et de derrière) pour construire ma représentation du cube. Toute perception est une construction qui suppose une activité de la conscience : c’est ce que Husserl nomme la synthèse temporelle passive – passive, parce que ma conscience opère cette synthèse sans que je m’en rende compte, et temporelle, parce qu’elle synthétise différents « moments » perceptifs qui se succèdent.
6. Suis-je totalement transparent à moi-même ?
La conscience n’est pas pure transparence à soi : le sens véritable des motifs qui me poussent à agir m’échappe souvent. C’est ce dont Freud rend raison en posant l’existence d’un inconscient qui me détermine à mon insu. Le sujet conscient se trouve ainsi dépossédé de sa souveraineté et la conscience de soi ne peut plus être prise comme le modèle de toute vérité.
L’inconscient n’est pas le non conscient : mes souvenirs ne sont pas tous actuellement présents à ma conscience, mais ils sont disponibles (c’est le préconscient). L’inconscient forme un système indépendant qui ne peut pas devenir conscient sur une simple injonction du sujet parce qu’il a été refoulé. C’est une force psychique active, pulsionnelle, résultat d’un conflit intérieur entre des désirs qui cherchent à se satisfaire et une personnalité qui leur oppose une résistance.
L’inconscient ne pourra s’exprimer qu’indirectement dans les rêves, les lapsus et les symptômes névrotiques. Seule l’intervention d’un tiers, le psychanalyste, peut me délivrer de ce conflit entre moi et moi-même, conflit que Freud suppose en tout homme.
La citation « L’homme est à la fois le plus proche et le plus éloigné de lui- même. » (Saint Augustin)